Rencontre avec Hécate

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J’ai découvert ce roman « de gare » il y a une quinzaine d’années par l’intermédiaire d’une amie qui baignait plus ou moins dans le milieu ésotérique et qui connaissait mon vif intérêt pour la sorcellerie. J’avoue n’avoir pas trouvé le style terrible mais ce texte dégage une réelle magie. A vous de juger.
Lune

Rencontre avec Hécate (« Sorcière, ma soeur »)
par Graham Joyce ©, traduction par Thomas Bauduret

Extrait du roman « Sorcière, ma sœur », dont le titre original est « Dark Sister ». Aux éditions Pocket.

Maggie gara sa voiture et la nouvelle lune éclaira son chemin à travers les bois ; Dot cavalait loin en avant et reniflait les feuilles moites. Elle avait toute une liste d’herbes et de plantes à cueillir dans les buissons entourant la forêt, mais tout d’abord, elle voulait recueillir quelque chose de moins substantiel l’impression que laissaient les arbres dans la nuit, le sens des ténèbres.

La lune qu’elle apercevait entre les arbres était blanche et virginale dans sa pureté immaculée. Son croissant était orienté vers le haut, comme une paire de cornes; sa lumière dessinait des schémas complexes et délicats qui couraient entre les ombres pour laisser leur empreinte sur les feuilles.

La forêt était un monde fait d’ébène et d’argent, un univers nouveau et étincelant comme un sou neuf. La fraîcheur de la nuit caressait le visage de Maggie. Sa peau était argentée, le chien était argenté, les troncs des arbres orientés vers l’est en étaient tout illuminés et semblaient irradier leur propre luminescence. Maggie s’enfonça au plus profond des bois.
Pas un bruit. La terre étouffait leurs pas; même Dot folâtrait dans une chape de silence. Maggie s’aperçut que, du coup, son acuité visuelle s’en trouvait accrue; les arbres se tenaient par rangées et effectuaient d’étranges gestes, tels les spectateurs d’un carnaval invisible; d’énormes champignons lovés contre des troncs abattus s’enivraient d’air nocturne; des têtes de fougères étaient enroulées sur elles-mêmes comme des serpents. La nuit tournoyait telle une roue invisible; belle et insaisissable. Maggie s’immobilisa et écouta. Dot fit de même.

Il y avait une présence dans ces bois.

On aurait dit une lente respiration qui semblait provenir des arbres eux-mêmes. Au loin, un renard glapit par trois fois. La fourrure de Dot se hérissa et Maggie sentit sa peau se couvrir de chair de poule. On aurait dit un signal auquel son corps répondait. Un appel indiquant qu’ils se trouvaient en présence de quelque chose de magnifique, de sacré, de terrifiant.

Maggie réalisa qu’elle retenait sa respiration. Sa gorge était serrée. Elle expira en un soupir, redoutant de rompre le silence. Les arbres émirent un bruissement; ils l’entouraient de toute part, et le murmure des feuilles évoquait une cape qui flotterait au vent. Dot se coucha sur le ventre et posa son museau entre ses pattes. Maggie aurait bien voulu faire de même: s’allonger par terre et cacher sa tête entre ses coudes. Les poils de ses bras se hérissaient. Elle tremblait de tous ses membres.

Mais elle savait qu’il lui faudrait faire face à celui ou à celle qui s’annonçait pour gagner son respect. Une voix résonna dans sa tête.
Elle veut juste te regarder.

Puis vint un parfum qui s’élevait du sol. Ce n’était pas uniquement le relent du bois humide, de la pourriture, des feuilles et du bois, l’odeur éternelle de la forêt. Non, c’était autre chose; comme une épice, quelque chose de primordial issu de la Terre nourricière; un signal appartenant à la présence qui investissait les bois devant elle, derrière elle, partout. Une vague de chaleur la submergea, suivie d’une sueur froide.

Maggie était comme paralysée. La clarté de la lune était devenue un anneau de flammes cristallines qui l’entouraient en un halo argenté. Une goutte de rosée -une petite sphère de lumière concentrée- tomba d’une feuille pour s’écraser sur son front. Elle avait reçu l’onction. Elle rejeta sa tête en arrière, ouvrit la bouche; une seconde goutte y tomba, déposée telle une hostie.

Un nom apparut dans son esprit, et elle sut qui était cette présence. Elle avait déjà lu ce nom dans le cahier. Il monta, monta du plus profond d’elle et se déposa sur sa langue.

C’était un nom qui ne lui avait pas dit grand-chose la première fois qu’elle était tombée dessus, mais qui, maintenant, décrivait dans toute sa plénitude ce moment magique. Les branches qui bruissaient comme une cape au vent confirmaient sa présence. Le croissant de la lune. Le parfum de la terre et l’anneau sacré de flammes argentées. L’onction, le don. On lui avait accordé le droit de parole.

– La déesse, souffla-t-elle. Hécate.