Extrait du livre What witches do (1971), de Stewart Farrar. Traduction & adaptation : Lune.
Note de Lune : What Witches Do est un ouvrage pionnier qui offre un regard intime sur la Wicca alexandrienne, fondée par Alex et Maxine Sanders. Journaliste devenu initié, Stewart Farrar y décrit les rituels (sabbats, esbats, handfasting, etc.), les croyances et la pratique magique d’un coven de l’époque, en soulignant le lien avec les cycles naturels et l’énergie psychique. Ce livre a contribué à démystifier la sorcellerie moderne en la présentant comme une spiritualité positive et structurée. Il demeure une référence majeure dans la diffusion de la Wicca contemporaine.
Notez bien que le texte qui suit ne traite pas de la Kabbale juive traditionnelle, mais de sa réinterprétation au sein de la kabbale ésotérique occidentale, une synthèse mystique élaborée entre la fin du XIXᵉ et le XXᵉ siècle par des sociétés initiatiques comme la Golden Dawn, puis développée par Aleister Crowley, Dion Fortune, A. E. Waite et d’autres auteurs de l’hermétisme moderne. Cette approche associe la symbolique kabbalistique à d’autres systèmes (alchimie, astrologie, tarot, magie cérémonielle) et constitue le cadre dans lequel Stewart Farrar inscrit ses références à l’Arbre de Vie et au Tarot.
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Le jeu de Tarot et l’Arbre de Vie kabbalistique sont les deux éléments sont indissociables de la tradition occulte occidentale.
Et même si les sorcières d’autrefois ne connaissaient rien de la Kabbalei, et que seules certaines d’entre elles possédaient un tarot, la Wicca moderne est profondément influencée par l’un et par l’autre.
Pourtant, chacun représente le plan d’une philosophie de l’univers, la quintessence d’une sagesse si ancienne que nul ne peut en déterminer l’origine exacte : Chaldée, Égypte, Atlantide, selon l’école de pensée. Et le Tarot et l’Arbre sont intimement liés.
- Le Tarot se compose de 78 cartes, et est clairement l’ancêtre du jeu de bridge.
- 56 d’entre elles sont réparties en 4 enseignes : Coupes (équivalent des Cœurs), Épées (Piques), Bâtons (Trèfles) et Pentacles (Carreaux).
- Chaque enseigne comprend l’As jusqu’au Dix, et le Valet — situé entre le Page et la Reine. (Le Chevalier est parfois appelé le Prince, et le Page la Princesse.)
- Ces 4 enseignes représentent les 4 éléments occultes. Leur attribution habituelle étant : Coupes pour l’Eau, Épées pour l’Air, Bâtons pour le Feu, et Pentacles pour la Terre, bien que certains (dont Alex) intervertissent l’Air et le Feu (voir chapitre 12). Ces 56 cartes sont appelées les Arcanes Mineurs (ou « mystères moindres »).
- Les cartes restantes, numérotées 0 et de 1 à 21, sont les Arcanes Majeurs (« mystères majeurs ») ou Atouts Majeurs ; et à l’exception du 0, le Fou (dont le descendant dégradé est le Joker), elles n’ont aucun lien avec le jeu moderne. Pourtant, elles sont le cœur du Tarot.
Le jeu moderne pourrait être qualifié de « Tarot vidé de ses entrailles », et je soupçonne que l’Église est responsable de cette « éviscération ». Jusqu’à récemment du moins, l’Église considérait les cartes comme « le livre d’images du Diable », mais seulement en ce qui concerne les 4 enseignes, et en lien avec le péché mineur du jeu.
Les Arcanes Majeurs, en revanche, devaient lui évoquer le soufre, le monde hérétique de la divination, des dieux païens tapis dans l’ombre, et une philosophie élaborée hors du cloître.
C’est injuste, car des interprétations chrétiennes des Arcanes Majeurs existent bel et bien. Mais je ne peux m’empêcher de penser que la méfiance du clergé a peu à peu réduit le jeu aux cinquante-deux cartes tolérées (le Chevalier ayant disparu dans le processus).
Il serait impossible, en un demi-chapitre, d’analyser les Arcanes Majeurs en profondeur, et de toute façon, il existe presque autant d’interprétations que d’interprètes.
Ce qui ne signifie pas que toutes sauf une (ou même une majorité) soient fausses.
Le Tarot est si riche en symboles que quiconque commence à l’étudier y découvrira des significations derrière les significations. Comme tout ensemble de symboles, il agit comme un miroir qui interagit avec l’observateur comme s’il était lui-même un organisme vivantii.
Mais pour donner une idée des Arcanes Majeurs à ceux qui n’ont jamais vu un jeu de Tarot, voici une brève description de chaque carte.
Parmi les nombreux Tarots actuellement disponibles, j’ai choisi comme référence le jeu de Waiteiii, non pas parce qu’il est le plus esthétique (malheureusement ce n’est pas le cas), mais parce qu’il est généralement reconnu comme étant le plus précis dans sa symbolique.
1. Le Magicien (aussi appelé le Mage ou le Bateleur)
Un jeune homme lève une baguette de la main droite et désigne la terre de la gauche.
Sur la table devant lui se trouvent les quatre symboles élémentaires, et au-dessus de sa tête, le signe de l’éternité ou de l’infini (également connu comme le signe du Saint-Esprit). Il est le Mage, l’Adepte, l’être humain intégré sur tous les plans, la volonté libérée par la compréhension. Son geste fait référence au principe occulte fondamental :
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, mais d’une autre manière. »
2. La Grande Prêtresse (aussi appelée la Papesse, la Papesse Jeanne, la Vierge du Temple, la Science Occulte)
Une jeune femme assise entre les piliers Boaz et Jakiniv, devant le voile du Temple. Sur ses genoux, à demi caché, repose le rouleau de la Torah, la Loi Secrète. Elle est couronnée du disque et des cornes d’Isis, et le croissant de lune se trouve à ses pieds. Elle offre la sagesse occulte tout en la gardant. Elle est à la fois vierge et mère. Waite dit qu’elle est :
« l’Épouse spirituelle de l’homme juste, et lorsqu’il lit la Loi, elle lui en donne le sens divin »,
et ajoute « il y a certains aspects dans lesquels cette carte est la plus élevée et la plus sacrée des Arcanes Majeurs ».
3. L’Impératrice (aussi appelée la Mère Céleste)
Une femme assise, couronnée et tenant un sceptre. Tandis que la Papesse est virginale et secrète, l’Impératrice est féconde et terrestre. Elle incarne l’action, la fertilité, la Mère-Terre ; dans certains jeux, elle est représentée enceinte. En un sens, elle est l’équilibre entre les cartes 1 et 2.
4. L’Empereurv
Un souverain assis sur un trône, également couronné et tenant un sceptre. Il est, à bien des égards, le pendant viril de l’Impératrice. Lui aussi appartient au monde matériel : il incarne le pouvoir exécutif et la sagesse intellectuelle. Selon Waite, il est celui qui « cherche à lever le Voile d’Isis ; pourtant elle demeure virgo intacta » : l’intellect seul ne permettra jamais de pénétrer le Temple secret.
5. Le Hiérophante (aussi appelé le Pape)
Figure sacerdotale assise, portant une triple couronne. Il représente « le pouvoir dirigeant de la religion extérieure », par opposition à la Grande Prêtresse qui symbolise les secrets intérieurs. Cela ne signifie pas qu’il incarne une simple façade creuse (bien qu’il puisse dégénérer ainsi), mais qu’il exprime publiquement, au mieux, des vérités enracinées dans la sagesse occulte commune à toutes les traditions spirituelles.
6. Les Amoureux
Un jeune homme et une jeune femme se tournent l’un vers l’autre, sous un soleil éclatant. Dans le jeu de Waite, ils sont nus comme Adam et Ève, dans l’innocence avant la chute, bénis par une figure angélique. Dans d’autres jeux, c’est un Cupidon armé d’un arc. Carte de l’amour humain, elle évoque aussi le choix, l’équilibre des principes masculin et féminin. Comme le note Eden Gray (The Tarot Revealed) :
« l’intellect conscient, représenté par l’homme, n’établit pas de contact direct avec la superconscience (l’Ange), sinon par Ève (le subconscient) »
ce qui, en termes psychologiques, est le secret même de la Wicca.
7. Le Chariot
Un personnage en armure conduit un char tiré par deux sphinx, l’un noir, l’autre blanc, qu’il dirige par une baguette ou une épée. (Dans certains jeux, ce sont des chevaux.) Carte d’équilibre et de triomphe : le conducteur avance avec assurance en maîtrisant, par sa volonté et sa connaissance, les forces jumelles du pouvoir et de l’amour, de Boaz et Jakin. Il a compris le secret de la polarité, du résultat positif issu des forces opposées.
8. La Force (aussi appelée la Fortitude, la Force morale, ou l’Enchanteresse, ou la Magicienne)vi
Une femme referme (ou ouvre, selon les jeux) les mâchoires d’un lion. Au-dessus de sa tête, le symbole de l’éternité, comme chez le Magicien (dans certains jeux, ce symbole est formé par les courbes de leur chapeau). Sa force ne réside pas dans la brutalité, ni dans le courage au sens ordinaire, mais dans le pouvoir du développement spirituel, de l’innocence sacrée. Elle est parfois décrite comme le pendant féminin de Saint Georges et son dragon.
9. L’Hermite
Un homme barbu, drapé d’un manteau, portant une lanterne et un bâton. Souvent vu comme un chercheur de sagesse, il est peut-être mieux compris comme celui qui l’a déjà atteinte, dont la lampe n’éclaire pas ses propres pas, mais guide ceux qui le suivent.
10. La Roue de Fortune
Une roue portant les lettres T-A-R-O (pouvant aussi se lire R-O-?-A, « roue ») et le Tétragrammevii. Autour d’elle tournent le dieu égyptien à tête de chacal Hermès-Anubis (évolution ascendante de la conscience) et le serpent Typhon (énergie cosmique manifestée en tant que forme). Au sommet, un sphinx : encore une fois, l’équilibre et la stabilité dans le mouvement. Aux coins de la carte, les quatre créatures d’Ézéchielviii : homme ou ange, aigle, lion et taureau, tous ailés. Elles représentent une réalité immuable au sein de laquelle l’univers et la vie humaine sont en perpétuel changement. C’est ce changement au sein de la constance, plutôt que toute idée simpliste de « chance », que la carte symbolise, malgré les symboles très différents d’un jeu à l’autre.
11. La Justiceix
La figure traditionnelle de la Justice, tenant l’épée et la balance (mais cette fois sans bandeau sur les yeux), est assise sur un trône, couronnée, entre deux piliers. Le symbolisme est simple : on retrouve une fois encore le thème récurrent de l’équilibre.
12. Le Pendu
Un jeune homme suspendu tête en bas, par une cheville attachée à une croix en forme de T, en bois vivant. Son autre jambe forme une croix avec la première, ses mains sont derrière son dos. Autour de sa tête, une auréole dorée. « C’est une carte d’une profonde signification », dit Waite, « mais toute la signification est voilée. » Le sacrifice est une interprétation trop simpliste. Le concept du Dieu mourant et ressuscité est présent — et, d’un point de vue humain, celui de la transformation et de l’éveil : « un retournement de l’esprit plutôt que du corps », selon Eden Gray.
13. La Mort (aussi appelée le Faucheur Squelettique)
Dans le jeu de Waite, un squelette en armure chevauche un cheval blanc et porte une bannière ornée d’une rose blanche, symbole de vie. À l’horizon, se dresse la porte de l’immortalité. D’autres jeux montrent un squelette avec une faux, mais la carte ne signifie pas nécessairement la mort physique — plutôt la mort de l’ancien soi suivie d’une renaissance, du renouveau. Les rituels d’initiation de nombreuses fraternités occultes incluent une mort et une renaissance symboliques (comme le second degré de la Wicca avec la Descente de la Déesse et sa conquête de la Mort), donc la carte 13 peut aussi symboliser l’Initiation.
14. La Tempérance (aussi appelée l’Ange du Temps, ou — chez Crowley — l’Art)
Un ange ailé, ni homme ni femme, se tient entre terre et eau, versant un liquide d’un calice à l’autre. D’un côté, l’essence de la vie se déplace du passé vers l’avenir ; de l’autre, les principes masculin et féminin s’unissent. La « Tempérance », ici, n’a rien à voir avec l’abstinence, mais signifie tempérer, combiner, harmoniser ; encore un autre aspect de l’Équilibre.
15. Le Diable
Un diable cornu aux ailes de chauve-souris est assis sur un autel, auquel sont enchaînés un homme et une femme. Dans le jeu de Waite, ces deux figures rappellent les Amoureux de la carte 6, « comme Adam et Ève, après la chute ». Toutefois, l’homme et la femme ne sont pas corrompus. Leurs visages sont intelligents et leurs chaînes sont lâches. La carte n’évoque pas la damnation, mais une étape inévitable : celle qui suit la perte de l’innocence par la connaissance, et précède la libération par la compréhension. La matière détient provisoirement le pouvoir, mais elle n’a vocation qu’à se soumettre à l’esprit, qu’elle finira par servir.
16. La Tour (aussi appelée la Tour Foudroyée ou la Maison Dieu)
Une tour frappée par la foudre, en flammes ; deux figures humaines tombent de son sommet. Cette carte fait écho à la précédente. Si celle-ci concernait le piège du matérialisme, celle-ci concerne le piège de l’orgueil intellectuel et du dogmatisme. L’éclair de l’illumination spirituelle détruit la structure du raisonnement fallacieux. Dans le jeu de Waite, le ciel fait pleuvoir des gouttes de lumière en forme de « Yods » hébraïques, symboles de la force vitale cosmique fertilisant la matière. La foudre détruit pour que le Yod reconstruise.
17. L’Étoilex
Une jeune fille nue, incarnation de la jeunesse et de la beauté, est agenouillée sur la terre, le pied droit dans l’eau. Elle tient une cruche dans chaque main, versant avec impartialité les Eaux de la Vie sur la terre comme sur la mer. Au-dessus d’elle brille une immense étoile à huit branches, entourée de sept étoiles plus petites. Elle est la Grande Mère, éternellement jeune, renouvelant sans cesse la création, donnant vie à l’esprit comme à la matière. A son tour, elle est elle-même une manifestation de la source ultime et illimitée de l’énergie cosmique représentée par l’Étoile.
18. La Lune
Un chien et un loup hurlent à la Lune croissante, qui présente un profil féminin. Au-delà d’eux, un sentier serpente entre deux tours vers un horizon vallonné. Au premier plan, une créature semblable à un homard sort d’un bassin pour rejoindre la terre ferme. C’est une carte des niveaux de conscience : la nature à demi évoluée de l’homme est attirée (bien qu’elle en ait peur) par la lumière réfléchie de l’imagination — laquelle peut le conduire vers le plan astral. Derrière tout cela, se trouvent les profondeurs de l’inconscient, d’où émergent des choses sans nomxi. La lumière, bien qu’imaginative, n’est pas illusoire, car la Lune aussi répand les « Yods » de la force vitale.
19. Le Soleil
Un enfant nu, chevauchant un cheval blanc et portant une bannière rouge, sort d’un jardin clos. Le Soleil, rayonnant et doté d’un visage humain, brille avec bienveillance sur lui. (D’autres jeux montrent deux enfants à pied.) Cette fois, la lumière n’est pas réfléchie mais directe : c’est la pleine lumière de la compréhension, qui achève le cycle évolutif en restaurant l’innocence, désormais une innocence parachevée et équilibrée par la sagesse. Le jardin — c’est-à-dire la Nature tout entière — se tourne vers l’homme pour son accomplissement final, et l’homme pleinement conscient la conduit vers une nouvelle phase.
20. Le Jugement (aussi appelé le Jugement Dernier, l’Ange, et — chez Crowley — l’Èon)
L’archange Gabriel sonne de la trompette depuis les cieux, et des hommes, femmes et enfants émergent de leurs cercueils ouverts, les bras levés. Ce n’est pas le Jugement Dernier au sens traditionnel, mais l’appel du Divin Supérieur, entendu et accueilli intérieurement, apportant la transformation.
21. Le Monde (aussi appelé l’Univers)
Une danseuse, nue à l’exception d’un voile sur les reins, tient une baguette dans chaque main. Elle est entourée d’une couronne ovale de feuillage. Aux coins de la carte figurent les quatre créatures d’Ézéchiel déjà présentes dans la carte 10. Le Monde est une carte d’accomplissement, de réalisation : « le monde restauré lorsque la loi de la manifestation aura atteint le plus haut degré de perfection naturelle », dit Waite, ajoutant qu’elle peut aussi représenter le début du cycle, lorsque « tout fut déclaré bon, lorsque les étoiles du matin chantèrent ensemble et que tous les Fils de Dieu poussèrent des cris de joie ». Eden Gray, de son côté, en donne une interprétation psychologique : « La danseuse symbolise l’ultime réalisation de l’être humain : la fusion de la conscience et du subconscient, et leur union avec la supraconscience ». Cela correspond à la tradition selon laquelle le voile de la danseuse (présent dans tous les jeux) dissimule sa véritable nature hermaphrodite — l’équilibre final des principes masculin et féminin ; non pas asexuée comme un ange victorien édulcoré, mais porteur des deux forces.
0. Le Fou
Un jeune homme, richement vêtu, s’avance sans crainte au bord d’un précipice ; un chien gambade à ses pieds. Dans une main, il tient une baguette (la volonté) à laquelle est attachée une besace (ses souvenirs accumulés, les richesses du Subconscient Universel), et dans l’autre une rose blanche (la liberté vis-à-vis de l’animalité pure). Son regard est tourné vers le ciel, non vers l’abîme en dessous. Ce n’est pas un fou au sens moderne, mais un innocent sacré ; l’Esprit de l’Éther, comme l’appelle Crowley. En réalité, il ressemble davantage au bouffon de cour médiéval, souvent le seul homme dont le roi pouvait vraiment se fier à la sagesse et à l’esprit, car il était totalement affranchi des conventions et du respect des rangs. Il entre dans ce monde en quête d’expérience, mais n’en fait pas partie : c’est un «Yod» sur le point de plonger dans l’abîme de la manifestation. C’est pourquoi il porte le numéro 0 : il est partout et nulle part, universel, mais lié à aucune hiérarchie. Un Fou, mais pas un insensé — il est l’esprit libre de l’humanité.
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Le Tarot est un alphabet de symboles avec lequel on peut écrire des volumes entiers d’idées. Dire qu’il peut aussi servir à la divination paraît presque superflu, voire décevant. Mais il possède une fonction bien réelle dans ce domaine, comme je l’ai indiqué dans le chapitre précédent. À son niveau le plus bas, le Tarot peut se réduire à un simple divertissement de salon, où l’on récite mécaniquement des interprétations figées, comme des formules vides, sans grand lien avec le symbolisme occulte des cartes, du moins en ce qui concerne les Arcanes Majeurs.
Mais à un niveau plus élevé, le Tarot peut devenir un catalyseur pour notre propre intuition psychique. Il existe plusieurs systèmes et méthodes de tirage pour le Tarot divinatoire, présentés dans de nombreux ouvragesxii, et bien utilisés, ils ont tous leurs avantages. Ce qui importe, c’est d’utiliser les interprétations comme des pistes et des indices sur lesquels l’intuition peut s’appuyer. Elles peuvent alors, parfois de manière troublante, se révéler étonnamment stimulantes et susciter des idées qui semblent dépasser la simple intuition ou perspicacité. Utilisées de manière mécanique et sans concentration, selon le principe du « j’appuie sur le bouton et la réponse sort », elles sont inutiles.
Une amie à moi, très intelligente mais sans aucune formation en occultisme, a acheté un jeu de Tarot et a essayé plusieurs tirages divinatoires par curiosité. Ceux-ci se sont avérés si précis qu’elle en a été effrayée et a rangé le jeu pour de bon. Je suis convaincu que la raison ne résidait pas tant dans les cartes elles-mêmes, mais dans le fait qu’elle était naturellement intuitive et qu’elle a utilisé le Tarot correctement par instinct, déclenchant ainsi des facultés insoupçonnés.

L’Arbre de Vie
Les Arcanes Majeurs du Tarot, et dans une moindre mesure les Mineurs, ont des correspondances et des références croisées avec tous les domaines de l’étude occulte, de l’Astrologie aux Éléments, en passant par les 360° du Cercle Magique, mais surtout, avec l’Arbre de Vie kabbalistique.
L’Arbre de Vie, comme le Tarot, est un sujet trop vaste pour être traité en quelques centaines de mots. Lui aussi a fait l’objet de nombreux ouvragesxiii, et bien d’autres seront encore écrits. Mais aucun travail sur la Wicca moderne ne serait complet sans au moins une description de base et quelques indications sur sa signification.
J’ai abordé la Kabbale au début du chapitre 9, l’Arbre de Vie en est la carte, « le plan fondamental (ndlt : la structure de référence) de la Tradition Ésotérique Occidentale », comme le décrit Dion Fortune. Pour simplifier, il représente les étapes par lesquelles l’Ultime Inconnaissable se manifeste « vers le bas » pour créer l’Univers et l’Homme tel que nous les connaissons. Il montre aussi les étapes par lesquelles l’Homme évolue « vers le haut », à travers divers niveaux de conscience et d’existence, afin de se réidentifier à sa source.
La figure 8 ci-dessous montre le plan de l’Arbre. Il se compose de dix sphères ou Sephiroth (au singulier, Sephira), reliées par vingt-deux sentiers. Les Sephiroth sont généralement désignés par leurs noms hébreux, car cela les identifie immédiatement comme tels, contrairement à des mots comme « Royaume » ou « Force ».

Fig. 8. L’arbre de vie
Chacun des vingt-deux sentiers reliant les Sephiroth est traditionnellement associé à un des Atouts du Tarot (arcanes majeurs), et je les ai indiqués ainsi. Il serait trop digressif d’en discuter ici, mais tout lecteur curieux de les explorer trouvera cette étude intéressantexiv.

Fig. 9. Séquence des Sephiroth de l’Arbre de Vie (ascendante et descendante).
La figure 9 montre la séquence naturelle des Sephiroth, identique qu’on les parcoure de bas en haut ou de haut en bas.
La figure 10 montre les trois Piliers dans lesquels l’Arbre peut être divisé verticalement.
Et la figure 11 présente les trois Triangles dans lesquels il peut être divisé horizontalement.
La Sephira la plus élevée, Kether, est le niveau le plus haut concevable par la conscience humaine. Au‑delà se trouve l’Inmanifesté, ou « Existence Négative », que les Kabbalistes divisèrent en trois plans appelés Voiles.
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Premièrement, « Ain », la Négation ;
-
deuxièmement, « Ain Soph », l’Illimité ;
-
et enfin, « Ain Soph Aur », la Lumière Illimitée.
C’est à partir d’Ain Soph Aur que Kether se manifeste. Les trois Voiles sont par définition inconnaissables, de sorte que leurs noms ne sont que des symboles utiles pour ce qui ne peut être saisi, employés un peu comme le mathématicien utilise le terme « racine de moins un ».
La Kabbale considère l’évolution comme une série progressive de manifestations. (Dans cette conception, la Sagesse Cachée d’Israël était bien en avance sur ses légendes publiques ; l’Arbre de Vie peut être mis en relation avec la cosmologie scientifique moderne ; alors que les chapitres 1 à 3 de la Genèse ne le peuvent que symboliquement.)
Chaque Sephira a donc précédé la suivante dans le temps, mais a ensuite coexisté avec elle dans l’espace, débordant en quelque sorte dans celle-ci. Chacune peut être considérée comme féminine, négative, réceptive par rapport à celle qui la précède, et masculine, positive, active par rapport à celle qui la suit. Chaque Sephira inclut en elle-même les deux polarités.
Fig. 10. Les piliers de l’arbre de vie.
- SEVERITY → Rigueur ou Sévérité (la colonne de gauche)
- MILDNESS → Douceur ou Modération (la colonne centrale, aussi appelée Équilibre)
- MERCY → Miséricorde (la colonne de droite)
L’Univers, y compris l’Homme, contient en lui-même toutes les Sephiroth, ce qui explique pourquoi le processus de développement individuel « vers le haut » n’est pas tant une ascension qu’une ouverture et une prise de conscience de ce qui est déjà en nous à l’état potentiel. Lorsqu’une sorcière dit que « la Wicca enseigne les niveaux de conscience », elle pourrait tout aussi bien dire que « la Wicca ouvre progressivement les Sephiroth de plus en plus élevées ».
Les dix Sephiroth, dans l’ordre descendant, sont :
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Kether (Couronne). La première manifestation, le Moteur Premier, « Je Suis Celui Qui Est », l’être pur sans forme et, jusqu’à l’émergence de Chokmah, sans activité. En termes théologiques, atteindre la conscience de Kether revient à réaliser l’union avec Dieu. Son image magique est celle d’un roi ancien et barbu, vu de profil.
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Chokmah (Sagesse). L’activité commence ; Kether devient dynamique en Chokmah, mais il ne s’agit encore que d’un dynamisme sans organisation, une pure poussée d’énergie cosmique. Chokmah est le Père Suprême, le Yod du Tétragramme, la force fécondante de l’univers. Son nom divin est Yavhé, son symbole est le phallus, et son image magique est celle d’un homme barbu.
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Binah (Compréhension). La force s’organise en forme ; Binah, la Mère Suprême, l’Intelligence Sanctifiante, est le principe féminin équilibrant Chokmah. Inerte en elle-même, elle reçoit l’énergie illimitée mais non dirigée de Chokmah et la met en œuvre. Ce paradoxe d’inertie et de créativité se reflète dans ses deux noms : Ama, la Mère sombre et stérile, et Aima, la Mère lumineuse et fertile ; elle est aussi associée à Junon et à Saturne. Le nom divin de Binah est Yavhé Elohim (voir note XVII), ses symboles sont le yoni et le calice, et son image magique est celle d’une femme mûre.
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Chesed (Miséricorde). Aussi appelée Guédulah, c’est la première Sephira située en dessous de l’Abîme qui sépare les trois Séphiroth Suprêmes du reste de l’Arbre. La manifestation réelle, telle que l’esprit fini peut la concevoir, ne commence qu’en dessous de l’Abîme. Chokmah est le Père engendrant tout ; Chesed est la sphère de Jupiter, le Père protecteur, inséparable de Guéburah qui l’équilibre. De même que Binah est formatrice, Chesed est constructif, sphère des idées archétypales. Ses symboles sont la figure solide, la croix aux bras égaux, le sceptre ; son image magique est celle d’un roi couronné et trônant.
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Guéburah (Force). Contrepartie dynamique de Chesed, Guéburah est la sévérité, le roi guerrier, le Saint Destructeur, Mars. « Aussi nécessaire à l’équilibre de l’Arbre que Chesed, Seigneur de l’Amour, et Netzach, Dame de la Beautéxv ». Cet équilibre essentiel est reconnu en termes kabbalistiques purs chaque fois qu’un chrétien dit : « Car c’est à Toi qu’appartiennent le Royaume, la puissance et la gloire », ce qui correspond à « Malkuth, vé Guéburah, vé Guédulahxvi». Ses symboles sont le pentagone et l’épée ; son image magique est celle d’un guerrier dans son char.
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Tiphareth (Beauté). Cette Sephira, plus que toutes les autres, ne peut être comprise qu’en relation avec l’ensemble de l’Arbre de vie. Elle est l’équilibre et la synthèse de Chesed et Guéburah, ainsi que de Hod et Netzach. Point central des six Sephiroth situées sous l’Abîme. Cosmologiquement, au-dessus sont les plans de force, en dessous les plans de forme. Humainement, c’est le point de transmutation. En termes de niveaux de conscience, Tiphareth se situe là où l’esprit « opère une transition ». La religion exotérique ne perçoit rien au‑delà. En termes chrétiens, elle représente le Christ, le Rédempteur ; Tiphareth le Fils nous montrant Kether le Père. En termes grecs, Dionysos ou Adonis ; en termes romains, Apollon ; en termes égyptiens, Osiris. Tiphareth est l’Illuminateur autant que le Dieu sacrifié. Ses symboles sont la Rose-Croix, la Croix du Calvaire, et la pyramide tronquée ; ses images magiques sont un roi majestueux, un enfant, et un dieu sacrifié.
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Netzach (Victoire). C’est le Sephira de Vénus, le domaine des émotions et des instincts, de l’esprit collectif, de la force vitale de la Nature. Comme Chesed et Binah, mais sur un plan inférieur, il s’équilibre avec son opposé Hod, en tant que force face à la forme. Netzach est peuplé d’êtres insaisissables, flottant aux frontières de la manifestation. Au‑delà de Netzach, les concepts ne peuvent être perçus que par l’intuition abstraite ; ici, l’esprit en développement commence à les voir comme des formes astrales, subjectives en ce sens que l’individu les “invente” selon ses propres termes associatifs, archétypales en ce sens qu’il puise dans le symbolisme collectif de l’esprit de groupe, réelles en ce sens qu’elles reflètent des aspects d’une réalité supérieure. Il est facile d’être trompé dans ces Sephiroth inférieures, le Plan de l’Illusion, mais il y a beaucoup de bon grain parmi l’ivraie, et l’une des principales fonctions de la formation wiccane est d’apprendre à la sorcière à les distinguer. En fait, puisque les dix Sephiroth correspondent aux dix degrés traditionnels de l’initiation occulte, les Sephiroth inférieures sont le domaine spécifique des trois degrés de la Wicca. En pratique, il est impossible de placer les Sephiroth dans des compartiments étanches, car elles s’influencent toutes mutuellement, et en un sens chaque degré se réfère non seulement à une Sephira mais au “saut” de celui‑ci vers le suivant ; ceci dit, en général, les quatre Sephiroth inférieures peuvent être considérées comme le terrain propre de l’activité wiccane. Le Nom divin de Netzach est Jehova Tzabaoth, le Seigneur des Arméesxvii ; ses symboles sont la lampe, la ceinture et la rose ; son image magique est celle d’une belle femme nue.
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Hod (Gloire). Sphère de Mercure, d’Hermès, de l’intellect, où l’universalité devient esprit humain individuel. Hod représente la forme sur le plan astral, Netzach la force. Toutes les formes divines personnifiées par l’homme appartiennent à Hod. Sphère de la magie, car c’est la volonté intelligente du magicien qui crée les formes, mais elles ne peuvent être animées qu’en puisant dans Netzach. Son nom divin est Elohim Tzabaoth, ses symboles sont les Noms, Versicules et le Tablier de l’occultiste ; son image magique est un hermaphrodite.
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Yesod (Fondation). Sphère de la Machinerie de l’Univers ; expérience spirituelle associée : la vision de cette machinerie. Elle purifie, vérifie et corrige les émanations des autres Sephiroth. Canal unique vers le plan physique, essentielle à toute opération magique. Sphère du Principe Akashique de Lumière Astrale, éther psychique universel. Première sphère contactée lors de l’ascension des plans. Sphère lunaire, en flux cyclique éternel, incluant Diane et Isis. Dans le christianisme, elle correspond au Saint-Esprit. Son nom divin est Shaddai el Chai, ses symboles sont les parfums et les sandalesxviii ; son image magique est celle d’un homme nu, fort et beau.
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Malkuth (Royaume). L’univers manifesté, la sphère des éléments à la fois occultes et physiques, le produit final de l’involution à travers laquelle toute vie doit passer avant de pouvoir achever son développement en “remontant” vers sa source. Toutes les émanations de l’Arbre parviennent, à travers le filtre organisateur de Yesod, à Malkuth, où elles se cristallisent en forme concrète. Pourtant, Malkuth n’est pas seulement la matière ; c’est aussi l’âme de la Terre, « l’aspect subtil et psychique de la matière ; le noumène sous-jacent du plan physique qui engendre tous les phénomènes physiquesxix ». Magiquement, Malkuth est la sphère de la divination, de l’usage d’objets matériels (y compris le Tarot) pour fournir des réponses à des questions non matérielles. Comme je l’ai déjà suggéré, cela ne peut se faire qu’en établissant un lien efficace avec au moins le triangle inférieur de l’Arbre. Les Noms divins de Malkuth sont Adonaï Malekh (le Seigneur qui est Roi) et Adonaï ha‑Aretz (le Seigneur de la Terre). Ses symboles sont l’autel du double cube, la croix aux bras égaux, le cercle magique et le triangle d’art. Son image magique est celle d’une jeune femme, couronnée et assise sur un trône.
Ce ne sont là que les grandes lignes ; bien davantage pourrait être dit. Par exemple, les Sephiroth peuvent être attribuées aux parties du corps humain (voir Note 2, Chapitre 11). Et l’on pourrait discuter des Qlipoth (hébreu, “prostituées”), les “formes terribles, dangereuses même à concevoir”, qui sont les contreparties maléfiques de chaque Sephira, rejetées durant la phase de déséquilibre avant que celui‑ci ne s’accomplisse en donnant naissance à la Sephira inférieure. L’occultiste pleinement développé doit comprendre les Qlipoth afin de pouvoir les contrôler et les limiter.
Mais sur cette question du mal, un dernier point doit être clarifié. Il n’est nullement question d’associer les plans supérieurs de l’Arbre au bien et les plans inférieurs, plus grossiers, au mal. Pour le kabbaliste, toutes les Séphiroth sont également saintes, des phases nécessaires du processus cosmique. Et si la Voie de la Main Droite signifie quelque chose, la sorcière, qui agit principalement sur les Séphiroth inférieures, doit accepter cette égalité de sainteté.

Fig. 11. Les triangles de l’arbre de vie.
