La sorcière de Freibourg

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La sorcière de Freibourg
Auteur inconnu, traduction & adaptation Véro

Ndlt : En faisant des recherches sur le net j’ai trouvé ce texte, une version romancée du procès des sorcières pour lesquelles une plaque commémorative a été placée sur le Predigertor de Fribourg en Brisgau. Je n’ai pas le nom de l’auteur. Je ne peux donc pas le citer, je ne peux que vous donner le nom du site « drucila666.de »…. par contre je peux le traduire pour vous.

La sorcière de Fribourg

Ils vinrent durant la nuit pour emmener Catharina Stadellmenin, la veuve du maître serrurier Bantzer Entravée elle marcha en trébuchant, entre deux bourreaux jusqu’à la Predigertor. Au dessus du Burberg l’aube pointait à peine, le brouillard s’était dégagé et cela promettait d’être une claire journée de février. Il y avait peu de gens dans les rues à cette heure là. Selon le cas ils s’arrêtaient, curieux, pour la dévisager, ou bien ils se hâtaient de passer leur chemin et de s’éloigner des bourreaux. Dans la clarté de deux torches Catharina voyait déjà de loin un petit attroupement devant la porte du Predigerturm. En s’approchant elle distingua d’autres bourreaux et quelques autres femmes. Un homme maintint un document dans la lueur des torches et déclama froidement le nom des prisonnières, qui devaient être enfermées au Predigerturm.

„Magdalena Beurin, Catharina Stadellmenin….“Catharina n’écoutait déjà plus. Elle avait reconnu ses compagnes d’infortune : deux femmes de Betzenhausen, qu’elle connaissait depuis sa prime enfance, sa voisine épouse d’un marchand de toile, du nom de Anna Wolffärtin, qui vivait dans la maison „au lion blanc“, juste en face de la maison des Bantzer, et son amie Margaretha Mößmerin. Catharina regarda Margaretha et vit la terreur dans ses yeux. Elle essaya de s’approcher d’elle, mais le plus petit des hommes qui l’accompagnaient lui tordit violemment le bras dans le dos.

„Ne bouge pas“ siffla-t-il.

Alors elles entrèrent l’une derrière l’autre par la petite porte dans la pièce de l’huissier, et montèrent un escalier de bois : une colonne silencieuse de 10 hommes lourdement armés et de 5 femmes. Ils arrivèrent à une pièce sombre d’environ 10 pieds de côté, de laquelle partaient un autre escalier et deux toutes petites pièces, à peine plus grandes que des soues. Elles étaient fermées par une lourde porte de bois, à hauteur de hanches, de telle sorte que le geôlier puisse à tout moment voir ce qui s’y passait. C’est là que l’on poussa la Wolffartin et Margaretha, les autres femmes durent monter; là où se trouvaient, à côté d’une porte de fer verrouillée, trois autres petites pièces comme celles d’en bas. Catharina fut poussée dans celle du milieu.

„Assieds toi“.

Elle se laissa glisser au sol, couvert d’une fine couche de paille. Avec des gestes maîtrisés les bourreaux lui attachèrent les poignets dans des fers eux mêmes fixés au mur par de lourdes chaînes. Vaincue elle ferma les yeux, quand enfin on la laissa seule. Autant elle avait été tout d’abord effrayée de voir qu’on avait aussi pris son amie, autant à présent se sentait elle rassurée de voir qu’elle n’était pas la seule femme de rang élevé à être arrêtée. Il y avait des règlements et certainement qu’ils devraient être suivis. Certainement que dans le courant de la journée un représentant du tribunal viendrait à la tour et déclarerait aux femmes que les faits qui leurs étaient reprochés étaient sans fondement. D’en bas lui parvenait la voix de Margaretha :

„n’aies pas peur Catharina, nous serons bientôt sorties“

„je sais“

„ferme la“ tonna une voix masculine, sans doute celle du geôlier.

Catharina bougea les bras, elle pouvait les écarter jusqu’à toucher le mur de chaque côté. Mais les chaînes étaient trop courtes pour lui permettre de se lever. Si elle s’asseyait bien droite contre le mur elle pouvait voir au delà du portillon de bois, à travers un trou dans le mur en face d’elle le paysage extérieur. Comme sur une peinture se découpaient dans la lumière du matin les contours des murailles de la ville. Le jour se levait avec son cortège de bruits habituels : le grincement des charrettes de bois, les aboiements des chiens, les jurons des charretiers, les cris, les rires. Mais dans la tour tout était silencieux. Les prisonnières n’osaient plus parler, seul un léger ronflement s’élevait de la cellule à gauche de Catharina. Elle aussi finit par être vaincue par la fatigue. Elle s’allongea, aussi bien que le lui permettaient ses chaînes, sur la paille. Bien qu’il fit frais la cellule puait l’urine et le vomi. Y avait il des rats ? se demanda encore Catharina avant de s’endormir.

Elle ne vécut rien d’autre ce jour là. Catharina fut réveillée par le bruit des chaînes et des voix masculines. Une des femmes à côté d’elle était menée hors de sa cellule, et quand Catharina redressa la tête elle la vit disparaître derrière la porte de fer, emmenée par quelques hommes. La porte fut verrouillée bruyamment. De toute évidence il y avait une autre pièce au delà. La salle des tortures ?

Pourtant on n’entendait rien. Environ une heure plus tard la femme revint, debout, ne semblant pas avoir subi d’outrages. Le reste de la journée se déroula lentement, entre attente angoissante et ignorance quant à l’avenir. Catharina essayait d’ordonner ses pensées, elle se demandait ce qu’elle pourrait bien dire au tribunal, avec quels mots elle pourrait contrer ce qui aurait été dit à son sujet par une femme qu’elle connaissait à peine. La femme s’appelait Margret Vischer et après qu’elle eut subit de terribles tortures elle donna les noms de ses supposées compagnes, ce que voulaient entendre les juges. Alors CAtharina pensa à son cher Christophe, qui sans doute ne savait pas encore dans quelle dramatique situation elle se trouvait. Tous deux s’étaient toujours aimés. Mais tout d’abord leur amour ne fut pas approuvé et chacun se maria de son côté, sans toutefois cesser de penser l’un à l’autre. Le mariage de Catharina ne fut pas heureux, son défunt mari, Michael Bantzer la battait, la trompait et l’humiliait. Christophe non plus ne connut pas le bonheur. A la mort de leurs époux respectifs ils purent enfin être ensemble. Oui, ils voulaient se marier bientôt. Ce bonheur devait il aussi lui être refusé ?

Chaque fois que la porte de la tour s’ouvrait, en bas, elle tremblait d’effroi et pourtant personne ne vint à elle, comme si on l’avait oubliée. Elle fixait le mur jaune sale de sa prison, jusqu’à ce qu’elle connaisse par cœur chaque fissure, chaque tache, chaque creux. Régulièrement elle se laissait vaincre par le sommeil jusqu’à ce qu’un bruit de chaîne ne la réveille en sursaut. Ses poignets commençaient à la faire souffrir, parfois un bras ou une jambe s’ankylosaient. Avec la nuit vint le froid, et personne ne leur apporta une couverture ou un sac de paille. Combien de temps devrait elle rester ici ? Des jours ? des semaines ? Elle croisa les mains et pria Dieu le Père et la Vierge Marie.

Le lendemain on la réveilla d’un coup de pieds.

„On se réveille ! les Maîtres inquisiteurs sont là“

Le geôlier lui ôta ses chaînes et la mit debout. Malgré le froid et l’inconfort elle avait dû dormir profondément car elle se sentait plus forte que la veille. Tandis qu’elle suivait le geôlier elle débarrassa ses vêtements de la paille qui s’y était accrochée. La porte de fer était ouverte. Catharina observa la pièce sombre mis à part un bureau chichement illuminé par une lampe à huile. Trois hommes, debouts dans un coin, discutaient ensemble, derrière le bureau le greffier organisait ses papiers et son encre.

Bientôt un homme se détacha du groupe, grand, soigné, les cheveux grisonnants. Sans doute était ce le juge d’instruction. Au second abord Catharina le reconnut : c’était le docteur Textor, qu’elle avait rencontré l’une ou l’autre fois dans la maison d’un ami, Jakob Baur, et qui, dix ans plus tôt, avait pris une propriété seigneuriale à Lehen. Elle retint un soupir de soulagement.

„êtes-vous Catharina Stadellmenin ?“

„mais oui Docteur Textor, nous nous connaissons déjà. Nous nous sommes rencontrés chez Monsieur Baur, avec Margaretha Mössmerin. Comme elle va être heureuse de savoir que c’est vous qui menez l’instruction, nous sommes….“

Elle fut interrompue par le greffier „dois je noter tout cela Monsieur le Commissaire ?“

„Stupide bourrique ! répondit un des échevins en lieu et place de Textor, bien sûr que non !“

Catharina n’avait pas remarqué qu’un court instant Textor s’était crispé alors elle croisa son regard et il lui dit „contentez vous de répondre à mes questions. Rien de plus. Etes vous Catharina Stadellmenin ?“

„oui votre honneur“

Elle comprit que les questions suivaient un ordre précis qu’elle ne devait pas interrompre.

„quel âge avez vous, et où résidez vous ?

– je vais sur mes 50 ans et j’habite dans la Schiffsgasse

– de quoi vivez vous ?

– je dirige une petite brasserie

– où êtes vous née

– ici à Fribourg

– vos parents ?

– Anna Meierin, décédée peu d’années après ma naissance. Mon ^ère était le peintre Hieronymus Stadellmen, il est mort quand j’avais 14 ans

– Avez vous été en apprentissage après cela ?

– Oui dans le restaurant de ma tante, Marthe Stadellmenin. Vous connaissez l’endroit, puis j’ai travaillé au Schneckenwirtshaus

– Mariée ?

– Je suis veuve depuis quelques années. Mon mari était le maître serrurier et magistrat Michael Bantzer. Mais votre honneur sait tout cela.“

„Silence ! vous devez vous contenter de répondre à ce qui vous est demandé“ ces mots furent dits d’un ton neutre.

„avez vous des enfants ?

– Non, elle sentait le courage l’abandonner. Quel absurde questionnaire !

– des proches qui seraient encore en vie ?

– non, enfin je ne sais pas trop, ce que votre honneur entend par „proches“ J’ai encore des cousins.

– ce n’est pas ce qui nous intéresse“

Textor fit un signe au greffier, qui rangea ses affaires. Les hommes quittèrent la salle sans un mot, le commissaire Textor en dernier. Il passa devant Catharina sans la regarder. Elle ne savait plus que penser. Ce n’était quand même pas tout ? Elle n’avait même pas été écoutée !

Sur le retour vers sa cellule elle s’arrêta en haut de l’escalier et cria vers le bas „Margaretha, le docteur Textor était là, m’entends tu ?“
Le geôlier lui donna alors un coup dans les côtes „pas de communication avec les autres prisonnières, sinon ça sera la torture tout de suite“

Le soleil matinal dardait ses rayons à travers les vitraux de la salle du conseil municipal. Le gouverneur Johann Jacob Renner, chef du conseil des 24 qui se réunissait aujourd’hui marchait énergiquement de long en large devant les échevins.

„comment ça délicat ? dans ce procès comme dans tous les autres nous devons oeuvrer réglementairement. Moi non plus, Monsieur Textor, je ne pouvais pas prévoir que dans notre lutte contre la sorcellerie dans notre bonne ville nous en arriverions à un point où trois femmes seraient impliquées qui sont toutes trois veuves de bourgeois hautement estimés.
Je récapitule : la Wolffärtin, veuve du tisserand Alexander Schell, la Mössmerin, veuve de notre colonel décédé Jacob Baur, la Stadellmenin, veuve du magistrat et maître de corporation Michael Bantzer. Ajoutez-y la quatrième, Beate Müllerin, fille de notre très estimé confrère du conseil des 12, Georg Müller. Le fait que nous connaissions personnellement des femmes (et il jeta un regard d‘incompréhension à Textor) peut poser problème à certains d’entre nous, pour ce qui concerne la recherche de la vérité et les interrogatoires des accusées, toutefois (il frappa violemment la table de son poing fermé et sa voix se fit plus grave encore) y aurait il dans cette pièce, parmi nous, quelqu’un qui penserait que l’adversaire de Dieu serait susceptible de faire des différences sociales dans le choix de ses ouailles ? Il est un fait que l’expérience a prouvé que les gens simples, sans rang ni culture sont plus susceptibles de devenir des suppôts de Satan, mais personne, et particulièrement le sexe faible, n’est à l’abri et c’est pour cela que nous devons suivre chaque piste, j’insiste, chaque piste. Peut être certains d’entre vous se souviennent ils, même si cela remonte maintenant à 15 ans, que la Mössmerin a déjà été accusée de sorcellerie par le passé. L’affaire n’avait pas connu de suite car l’accusatrice était particulièrement connue pour être médisante. E t à peine quelques mois plus tard elle fut accusée encore par un homme, connu pour être un vil fripon et il fut condamné pour calomnie.“

Carolus Textor se balançait sur sa chaise, visiblement mal à l’aise.

„N’était-ce pas là ce Friedlin Metzger, demanda-t-il au gouverneur, qui en son temps avait démonté une partie des murailles de la Neuburg et avait vendu les pierres ? Un fieffé coquin à la parole de qui je ne peux prêter foi“

„Deux témoins à charge ont été déboutés en leur temps“, continua Renner, apparemment peu impressionné par l’interruption de Textor, „un peu trop prestement si on me demande à mon avis. Car ce ne peut être le hasard qui voudrait que cette même femme soit à nouveau accusée aujourd’hui, pour la troisième fois, et par 4 témoins, toutes des femmes qui sont connues pour actes de sorcellerie et appointantes avec le Malin. D’ailleurs ces 4 témoignages concernent aussi la Wölffärtin, la Müllerin et la Stadelmenin“

Renner but une grande gorgée d’eau puis reprit la parole :

„Au sujet de Margaretha Mössmerin, au début de mon réquisitoire j’ai parlé de hautes personnalités de la communauté. Le fait d’être une telle personne n’implique pas forcément que votre épouse mène une vie respectable. Le meilleur exemple de conduite dépravée après le décès du mari est celui de la veuve de notre très estimé Michael Bantzer. Ces dernières années vous avez reçu les plaintes de plusieurs voisins : bruit et musique jusque tard dans la nuit, allers et venues d’hommes inconnus, des relations beaucoup trop amicales avec le personnel féminin, la location d’une chambre à un jeune homme célibataire, et j’en passe. On a même observé des comportements hautement compromettants dans sa cour : danses et chants à la pleine lune. Les mises en garde du maître de la corporation des serruriers, qui est pour elle comme un père, n’ont servi à rien. Et maintenant au moment même où débute ce procès, on me signale le témoignage d’un homme qui pourrait apporter un éclairage nouveau à toute cette affaire. Faites entrer le témoin.“

L’employé de toujours du mari de Catharina, Hartmann Sifer entra. On voyait nettement qu’il était très fier de pouvoir parler devant tant de grands hommes. Renner s’assit et le second président, un homme taciturne prit la relève.

„votre nom ?

-Hartmann Siffer

-Résidant de la ville de Fribourg ?

-oui votre honneur

-de quoi vivez vous ?

-je suis comptable au Nornhaus, je suis employé municipal en fait

-Veuillez répéter à présent devant cette assemblée le témoignage qu’avant hier vous avez fait devant MM Statthalter et Schultheiss

-J’ai dit à ces très respectables messieurs, que du temps de Maître Bantzer, chez qui j’ai été comptable pendant de nombreuses années, j’ai été témoin de scènes très graves

-C’est à dire ?

-Mon patron, avait reproché à son épouse, Catharina Stadellmenin, de l’avoir ensorcelé et de lui avoir pris sa virilité par des moyens magiques. Bantzer n’était pas seulement mon patron mais c’était aussi quelqu’un qui m’avait toujours fait confiance dans tous les domaines. Et….

-Revenez en aux faits Siferlin !

-Eh bien oui, il m’a confié bien souvent qu’il ne pouvait plus coucher avec aucune femme

-À part vous quelqu’un d’autre savait il que la Stadellmenin avait ensorcelé son mari ?

-Certainement, mais je ne peux pas vous donner de noms, mais à l’époque tout le monde était au courant. Vous pouvez demander à Elsbeth Lauberin, la bonne. Elle s’était fort plainte des ragots qui circulaient à l’époque.

-Donc la Stadellmenin savait forcément ce qui se disait à son sujet ?

-Oui

Le second président se tourna vers Retter : « est ce que la Stadellmenin s’est jamais défendue officiellement contre ces accusations ?

-non il n’y a jamais eu de plainte à ce sujet

-voici un indice ! grommelèrent certains échevins

-passons à un autre point Siferlin, Vous pouvez donc témoigner du fait que la Stadellmenin, du vivant de son mari, avait des relations charnelles avec d’autres hommes ?

-oui votre honneur, il y a de nombreuses années

-qui était cet homme ?

-Benedikt Hofer, un de nos clients, un type très orgueilleux.

-et où se passaient ces événements ?

-la plupart du temps au Hoffers Kammer près de la Lehener Tor, tard le soir. Mais aussi parfois dans la cuisine de mon maître, autant dire pratiquement sous son nez“

Un brouhaha s’éleva des rangs. Le second président resta de bois.

„cet homme vit-il toujours à Fribourg ?

-non votre honneur, il a quitté la ville il y a des années

-Merci Sifferlin, vous pouvez disposer.“

A ce moment un employé entra dans la salle avec une feuille de papier qu’il donna à Renner.

„aha ! une pétition dans l’affaire Stadellmenin“ grommela-t-il. Il déplia la feuille. „d’un certain Christoph Schiller, restaurateur à Villingen, un cousin de l’accusée“ Sa voix devint plus forte „Puisse le tribunal constater la vie irréprochable de l’accusée, sa droiture et sa serviabilité, qui pourra être confirmée par des témoins : ma sœur, Lene Schillerin, résidant à Constance, le Schneckenwirt de Fribourg et sa femme, Georg Matti, charron à Lehen, Babett Heisslerin, de Lehen, ainsi que….“ Renner leva les yeux „sans intérêt“

Il s’apprêtait à reposer la feuille lorsqu’il ajouta :

„Babett Heisslerin de Lehen ? elle est bien passée devant ce tribunal il y a longtemps pour infanticide ?“

Quelques échevins approuvèrent.

„mais reconnue innocente“ s’empressa de dire Textor „elle avait fait plusieurs fausses couches avant cela, mais on n’a pas pu prouver qu’elle avait tué cet enfant là. .Que dit Schiller à son sujet ?“

„La Stadellmenin l’aurait assistée, jeune fille, lors de la naissance de son fils Hieronymus et lui aurait ensuite régulièrement rendu visite pour prendre des nouvelles de l’enfant et pour l’aider de diverses manières“

Renner sauta de sa chaise „si ce n’est pas là une preuve du rapport direct entre les fausses couches et l’art sorcier de l’accusée ! Que l’on fasse venir cette Heisslerin, il faut qu’elle soit examinée !“

Au troisième jour de son enfermement Catharina fut à nouveau menée dans la pièce avec la porte en fer. A force de rester assise ou couchée sur la paille humide, ses jambes étaient devenues faibles, et elle vacilla quant elle se trouva devant les échevins et le docteur Textor. Durant les dernières 24 heures elle avait tenté autant que possible de cesser de penser à sa situation, le temps s’était passé dans la semi obscurité, uniquement ponctué par la faim, la soif et la puanteur de ses propres déjections, qu’elle tentait autant que le lui permettaient ses chaînes, d’éloigner le plus possible de l’endroit où elle se couchait. Sa robe était sale, ses cheveux poisseux de paille, de poussière et de sueur. Ses rêves étaient des cauchemars. Quand elle se trouva devant ses juges elle rougit de honte. Que doivent ils penser de moi, sale et puante ! Suis-je seulement encore Catharina Stadllmenin ?

Textor s’éclaircit la gorge :

„pourquoi pensez vous avoir été amenée ici ?

-je ne suis certes pas à mon avantage, mais on m’a emmenée sous un faux prétexte.“ Sa propre voix lui semblait étrangère, comment avait elle bien pu se retrouver dans cette situation ?

„savez vous lire et écrire ?

-oui votre honneur

-avez vous passé un pacte avec le diable ?

-non je suis innocente

-quand vous êtes vous donnée au Malin ?

-je n’ai jamais eu affaire à lui, pas plus que je n’ai eu affaire à d’autres sorcières

-sous quelle forme le démon vous est-il apparu ?

-je suis innocente, croyez moi. De toute ma vie je n’ai pas eu affaire à la magie, que ce soit pour le bien ou pour le mal

-il vaudrait mieux avouer, sinon nous devrons faire venir des témoins et vous remettre entre les mains du bourreau

-et même si vous aviez mille témoins, je n’ai rien sur la conscience. Je ne suis pas une sorcière ! que pourriez vous bien faire pour prouver le contraire ?

Textor la regarda d’un air fatigué : „persisteriez vous à crier votre innocence, même sous la torture ?“

Catharina fut prise d’un vertige. Que lui voulait on ? Pourquoi aurait elle dû avouer quelque chose qu’elle n’avait jamais fait ?

„je n’ai jamais menti à Dieu, dit elle à mi voix, et je ne le renierai pas même dans les plus grandes souffrances, et si vous ne voulez pas me croire, j’endurerai la mort en souvenir de la souffrance du Christ.“

Le greffier notait scrupuleusement chaque mot. La plume crissait sur le papier. Textor continua : „qu’elle soit menée cet après midi pour une audition au Christoffelsturm“ et il quitta la pièce, accompagné des échevins et du greffier.

Elle se laissa tomber sur sa paillasse humide. Depuis son incarcération elle n’avait mangé que du pain sec et de l’eau, mais à présent elle se sentait si mal qu’elle aurait rendu même la viande la plus fine. Qu’allait on lui faire à présent ? Elle savait que le mot „audition“ avait à voir avec les mots, ça ne pouvait donc pas être douloureux. Alors pourquoi avoir si peur soudain ? Peu à peu elle comprit qu’innocente ou non elle ne pourrait pas échapper à ce qu’on lui réservait. Le déroulement de l’inquisition était aussi immuable que le passage des saisons. Ayant perdu tout espoir elle attendit qu’on vint la chercher. Chacun de se muscles était tendu. Elle était presque soulagée quand dans la soirée un jeune surveillant apparut.

„vous venez me chercher ?“ le jeune homme secoua la tête et lui tendit une écuelle emplie d’eau saumâtre, elle en but une gorgée tandis qu’il l’observait.

„Vous êtes de Lehen, non ? demanda-t-il en récupérant l’écuelle vide. Elle le regarda, incrédule. C’était comme si depuis des semaines un être humain lui eut enfin parlé aimablement.

„vous me connaissez ?

-pas personnellement, j’ai grandi dans la maison voisine de Hieronymus, le fils de la Heisslerin, elle parlait beaucoup de vous“

Catharina ferma les yeux. C’était une chaude journée de printemps, la paysanne était allongée au bord du chemin, Christoph à ses côtés. Christoph, un jeune homme monté en graine, qui dès le début avait conquis son cœur. De loin lui parvint la voix du surveillant

„normalement en cas de condamnation à mort je n’ai pas le droit de le faire. Prenez vite et ne me dénoncez pas. Et n’oubliez pas d’éteindre la lumière“

Il lui donna un papier froissé, posa son bout de chandelle près d’elle et s’en alla vite. Aussitôt tous les sens de Catharina furent en éveil. Elle tint la lettre tout prèt de la flamme et déchiffra les mots jetés là la hâte.

„très chère Cathi, ma seule et unique. Je souffre en pensant à ce qui t’arrive, mais que sont mes pauvres souffrances par rapport à ta douleur et à l’ignorance dans laquelle tu te trouves. Il faut reprendre courage, car je fais tout ce qui est en mon pouvoir, afin de te faire sortir de là sans dommage. J’ai fait une pétition et j’amènerais tous les témoins qui pourront parler en ta faveur. J’ai envoyé une lettre à Constance. Peut être mon beau frère pourra-t-il faire quelque chose par la voie de la législation autrichienne. Et aussi : le docteur Textor, m’a-t-on dit, est quelqu’un de juste et de bon. Ne perds donc pas courage ! Je suis tout près de toi et le resterai. Jusqu’à ce que tu sois hors de danger. Avec tout mon amour, Christoph“

Catharina observa sa propre ombre sur le mur. Non, elle ne renoncerait pas. Elle n’était plus seule à présent.

Comme le lendemain on ne l’avait toujours pas emmenée au Christoffelsturm elle se demanda si elle devait voir là un bon ou un mauvais présage. Elle ne pouvait pas savoir que ce retard était dû au docteur Textor. Le commissaire luttait contre sa propre conscience.

„Honorables collègues. Je dois dire en toute honnêteté que j’ai des doutes quant à la nécessité de soumettre à l’inquisition ces 4 femmes. Chacune d’elle a nié farouchement avoir jamais eu affaire au Malin. Leurs paroles semblaient venir du plus profond de leur cœur et chacune d’elle a dit être prête à continuer à clamer son innocence même sous la torture“

Il essuya son front en sueur quand il sentit un mouvement parmi ses confrères juges.

„J’ai bien conscience que le fait que je connaisse personnellement l’une d’entre elles, à savoir Catharina Stadellmenin, ne joue pas en ma faveur, aussi ai-je demandé qu’elle soit confiée à un autre juge d’instruction“

La claire lumière du jour éblouit Catharina. Après une semaine passée dans la pénombre elle ne supportait plus le soleil. Elle trébucha, les yeux à moitié clos. Elle était libre. Mais les gens l’évitaient. Deux gamins la bousculèrent et lui crièrent des insultes. Il s’en fallut de peu qu’elle ne fut renversée par une charrette. „hors de mon chemin, fille perdue“ cria le conducteur en lui envoyant un coup de fouet. Et alors elle se trouva devant la maison où elle avait vécu avec Michael Bantzer. Il va me gronder si je rentre dans cet état songea-t-elle en voyant l’état de ses vêtements. Il va me battre. Non, il vaut mieux que j’aille à Lehen chez tante Marthe. Chez Lene et Christoph. Catharina avait perdu l’esprit et dans son désarroi ne se rendait même pas compte que Michael Bantzer était décédé depuis longtemps.

Elle fut malade à nouveau. Depuis deux jours elle souffrait de crampes et de diarrhée du fait de l’eau croupie que l’on buvait dans la tour, sa tête était fiévreuse. Elle faiblissait, mais juste avant qu’elle ne s’écroule un bras secourable la rattrapa. Elle retrouva ses esprit dans l’instant quand elle vit qui la tenait ainsi : le même bourreau qui l’avait fait sortir une heure plus tôt.

„la promenade est terminée, dit il en riant méchamment, en route pour le Chrstoffelsturm, là bas on s’occupera bien de toi“

Après avoir vainement essayé de se défendre elle se laissa emmener. Elle remarquait à peine les visages hilares et moqueurs qui la suivaient alors qu’on la traînait en haut de la grand rue. Parfois il lui semblait reconnaître quelqu’un. Elle essaya de rassembler ses esprits quand elle sentit quelque chose de chaud couler le long de ses jambes couvertes de piqûres de vermine

„elle se chie dessus, elle se chie dessus“ criaient les enfants dans la rue, fascinés.

„je vous en conjure, libérez cette femme, elle est innocente“

Devant eux se tenait un homme mal rasé, aux yeux brillants de colère, et
qui leur barrait la route. Catharina se laissa tomber à genoux et cria „Christoph !“ Il se laissa tomber près d’elle sur la chaussée et la serra dans ses bras, la caressant doucement, jusqu’à ce qu’un coup de bâton du bourreau le jeta loin d’elle.

„disparaissez, ou vous serez enfermé à votre tour“ hurla le bourreau, et il traîna Catharina sur les derniers mètres qui les séparaient de la tour. Elle tourna une dernière fois la tête et vit Chriostoph debout au milieu de la route, les larmes roulant le long de ses joues creuses.

Dans la semi obscurité du Christofflesturm l’attendait un homme qu’elle n’avait jamais vu auparavant.

„la Stadellmenin, votre Révérence“ annonça le bourreau „avec votre autorisation je tiens à vous préciser que la merde lui a coulé le long des jambes comme de l’eau.“

L’homme fronça le nez d’un air dégoûté „décalons votre examen. Je ne supporte pas cette puanteur, Voyez si vous pouvez trouver un remède contre la diarrhée, mais un moyen qui soit efficace avant demain. Enchaînez cette femme là haut et amenez moi la Wolffartin à sa place. Mais faites vite.“

Catharina dû monter deux volées de marches et se trouva dans une pièce sombre, sur les murs de laquelle étaient fixées des chaînes, tout autour. La seule petite fenêtre était bouchée avec de la paille, et l’odeur qui régnait était pestilentielle. Après que ses yeux se furent habitués à l’obscurité elle constata qu’elle était seule. Peu après arriva un vieil homme qu’elle reconnu comme étant le bourreau officiel de la ville. Il déposa un bol de bois, avec de la bouillie de flocons d’avoine salée et du vin amer à même le sol.

Catharina secoua la tête, la seule vue du repas lui donnait des nausées.

„vVous allez le manger, même si je dois vous gaver de force“

Malgré l’apparente dureté des paroles le ton restait aimable. Et il est un fait qu’après ce repas, le premier repas correct depuis des jours, Catharina se sentit mieux. Elle essaya de ne pas penser à ce qui l’attendait, mais bien plutôt de diriger ses pensées vers Christoph.

Comme il avait l’air malheureux ! Dans un demi sommeil fiévreux elle ressentit une fois encore sa courte étreinte. Il l’aimait malgré le fait qu’elle soit aussi misérable et sale que le premier chemineau venu. Le sentiment de honte fit place au bonheur d’avoir pu voir Christoph encore une fois. Alors le vin fit son effet et elle s’endormit. Un bref et lugubre gémissement la réveilla en sursaut. Qu’était-ce ? Elle dressa l’oreille. De loin en dessous elle entendait des voix étouffées. Encore un gémissement puis soudain un long et terrible hurlement. Horrifiée elle pressa ses poings sur ses oreilles et pria à voix haute „Notre Père qui êtes au cieux, que Votre nom soit sanctifié, que Votre règne arrive….“ mais rien n’y fit. Les hurlements passaient par toutes les pores de sa peau, lui pénétraient la tête comme autant de coups de couteau, faisaient disparaître jusqu’à la plus infime trace du courage et de la confiance en l’avenir qu’elle aurait pu avoir.

„pourquoi croyez vous avoir été conduite ici ?“

Ils se trouvaient dans la cave de la tour. Il faisait un froid glacial dans le local à peine illuminé par deux flambeaux. Devant Catharina se trouvait ce même homme qui était là la veille quand on l’avait amenée. Son visage était extrêmement dur, comme s’il avait été sculpté grossièrement dans la pierre, avec un menton prognathe, et de tous petits yeux rapprochés. Elle comprit avec horreur que le docteur Textor avait demandé à être déchargé de son cas. Impatiemment le nouveau Commissaire reposa sa question. Derrière lui se tenait le tourmenteur, vêtu de son tablier gris en cuir, et se grattant le cou. Catharina rassembla toutes ses forces et répondit à voix haute et claire.

„par une grande malchance“

Le juge la regarda froidement. „Ecoutez moi bien, Stadellmenin, vous êtes un sorcière. Reconnaissez le ou je devrai demander au tourmenteur de faire son office“

Elle secoua la tête „je ne suis pas une sorcière, je l’ai déjà juré devant le docteur Textor“

„vous avez été reconnue comme étant leur compagne par Margret Vischerin, Magdalena Schreinerin, Magdalena Kerrein et Hedwig Jüdin. Connaissez vus ces femmes ?

-seulement la Vischerin. Je vous en prie, faites la venir ici, afin qu’elle puisse me répéter ses accusation en face.

-elle n’est plus que cendres.“ Répondit-il froidement „avouez que vous avez participé plusieurs fois à des sabbats sur le Bromberg, et dans votre jardin de la Schiffsgasse. Avouez que par trois fois grâce à un onguent que vous a fourni le diable vous avez fait mourir les nouveaux nés de Babett Heisslerin“

Catharina fut prise de tremblements. „comment pourrais je avouer cela alors que je ne l’ai pas fait ? Croyez moi je n’ai jamais eu affaire au Diable“

Le commissaire fit un signe au tourmenteur et s’assit entre le greffier et les deux échevins présents. Au dessus d’eux était suspendu un très grand crucifix en bois. Catharina fut prise par les épaules par le tourmenteur et il l’emmena à l’arrière de la salle. Sur un banc se trouvaient des objets inconnus en métal qui rappelaient un peu à Catharina l’atelier de serrurerie de son défunt mari.

Doucement, avec des mots simples, comme il avait dû le faire des centaines de fois, l’homme expliqua comment fonctionnaient les poucettes. „Vous placez les pouces de vos mains entre les deux plaques de métal, qui seront resserrées petit à petit avec ces vis, là. Les rivets à l’intérieur vont écraser les pouces, jusqu’à ce que le sang coule de dessous les ongles. C’est le premier stade de la torture. Pour la seconde partie on utilise les brodequins espagnols.“

Catharina se cacha le visage dans les mains. Un jeune homme à la lèvre barrée d’une cicatrice, et qu’elle n’avait pas remarqué jusqu’à présent, lui écarta les mains brutalement. „vous êtes priée de regarder quand mon père vous explique quelque chose“

„le côté plat sera appliqué sur le mollet, le côté avec les pointes en acier sur le tibia. Lorsqu’on resserrera le tout par vissage les pointes entreront dans la peau, et si on continue elles iront jusque dans l’os“

Ensuite il lui désigna une grande structure en bois, semblable à un grand montant de porte, aux côtés de laquelle était fixée une gigantesque roue. Cette roue était reliée à un cric, qui à l’aide d‘une grosse corde, qui passait par dessus un rouleau et était fixée au plafond, pouvait être tracté vers le haut. Pour l’instant la corde se balançait mollement dans le vide.
„Dans l’hypothèse où vous n’auriez toujours pas entendu raison vous seriez alors soumise à l‘estrapade“ Il lui expliqua tranquillement comment on lui lierait les mains dans le dos, qu’on les attacherait à la corde et qu’on la tracterait doucement vers le haut. Pour rendre la chose plus pénible on pouvait lui attacher des poids aux pieds, ou bien la laisser tomber d’une grande hauteur. Il était aussi possible de la fouetter en plus, ou accessoirement de lui arracher les ongles des orteils.

„N’oublie pas de lui dire, intervint le fils, que nous pouvons lui poser des emplâtres de poix brûlante, ou lui briser les épaules à coup de gourdin, ou lui répandre de l’alcool à brûler sur le dos et y mettre le feu. Parfois même les Messieurs montent manger et laissent les sorcières pendues là en attendant.“

Le tourmenteur jeta un regard courroucé à son fils. Mais à vrai dire
Catharina n’écoutait presque plus. Elle s’était laissée tomber au sol et regardait toujours les poucettes avec effroi.

Le tourmenteur se pencha vers elle et murmura „je vous en supplie écoutez moi, avouez quelque chose, n’importe quoi. Vous ne tiendrez pas le coup. Et vous ne sortirez jamais d’ici.“

„pouvons nous enfin commencer ?“ le juge d’instruction s’était levé

-oui votre honneur“

Rapidement il attacha les mains de Catharina devant la poitrine, puis elle dût s’agenouiller devant le banc et poser ses pouces dans l’étau. Le commissaire se tint très près d’elle, dans son dos.

„je vous le demande une dernière fois, avec bonté. Quand le diable vous est il apparu la première fois ?

– j’ai la conscience tranquille, jamais je ne l’ai rencontré, non !!!!“
Son hurlement s’éleva dans la cave, encore une fois le tourmenteur serra les vis et encore une fois elle ressentit une épouvantable douleur. A la troisième fois ses pouces étaient si douloureux que c’était comme si on les lui avait arrachés.

„les bottes“

Le fils du bourreau s’empressa de les lui installer à la jambe gauche.

„sous quelle forme le diable vous est il apparu ?

– je le dis….encore …je ne l’ai …..jamais rencontré….laissez ….non ..arrêtez!“

„qu’est ce que le diable vous a promis ? continuez à serrer les vis“
Elle hurla comme une bête que l’on sacrifie, gémit et pleura, jusqu’à ce que l’écume lui vint à la bouche et que sa langue pendit hors de ses lèvres. Alors elle perdit connaissance. Quand elle revint doucement à elle, elle était de nouveau menottée dans son coin et ses mains et sa jambe gauche étaient soigneusement bandés. Elle ne ressentait ni douleur ni frayeur, mais avait plutôt l’impression de voler, très loin au dessus, dans un vide infini. Est ce là la mort, se demandait elle. Mais alors elle entendit un gémissement tout près d’elle. Elle n’était pas seule. Cela prit un moment avant qu’elle arrivât à parler, car sa bouche et sa gorge étaient sèches . „il y a quelqu’un ?“

Pas de réponse. On n’entendait que le grattement des pattes des rats qui venaient grignoter sa robe.
„qui est là ?“

Encore un gémissement, puis une voix enrouée „Catharina ?“

Son amie Margaretha ! Elle voulut répondre mais à ce moment là la douleur se réveilla avec une telle vigueur qu’elle faillit s’évanouir à nouveau. Elle attendit que cela passe puis elle murmura „oui c’est moi“ Malgré qu’il fit si sombre elle sentit combien souffrait celle qui répondit „Catharina, Beate est libre, son père a réussi à la sortir de là, mais pour nous…. C’est fini. Anna Woffartin est là aussi, ils l’ont étirée quatre fois, elle est quasi morte“

Catharina murmura encore quelques fois le nom de Margaretha mais elle n’obtint pas d’autre réponse. Elle fixa l’obscurité. Pourquoi sa vie devait elle prendre fin maintenant ? Sa vie ne faisait que commencer vraiment ! Du dehors Christoph l’appela. J’arrive mon amour, attend encore un peu. Bientôt ce sera le printemps, alors nous nous allongerons dans le pré. Il est tout jaune à cause des pissenlits en fleurs. Et les champs près de la rivière commencent à verdir. Les yeux de Catharina la brûlaient, mais elle n’avait plus de larmes. Elle cacha son visage contre son épaule trempée de sueur. Notre père, soyez assez bon pour ne pas me laisser souffrir trop longtemps.

„alors, où en êtes vous docteur Frauenfelder ?“ se renseigna Renner.

Frauenfelder jeta un regard incertain vers Textor et se caressa le menton.

„la Mössnerin et la Stadellmenin ont pour l’instant continué à mentir de façon éhontée. La Wolffartin a d’abord avoué quand on l’a étirée, mais elle s’est rétractée le lendemain“

Textor se leva d’un bond „et si malgré tout elles étaient innocentes ?
-allons donc, elle sont résistantes comme le cuir, c’est tout. Dans les trois cas il faut tout simplement utiliser des méthodes plus radicales. Mais je pense que ça peut attendre lundi“

Renner opina. „c’est vrai. Demain nous avons un baptême dans la famille. Alors ? allons nous manger ensemble ? Au restaurant à l’ours ils ont eu un arrivage de truites fraîches“

Lorsque le lundi Catharina fut emmenée, dès l’aube, dans la cave pour y subir à nouveau la question, elle tremblait de peur et tenait à peine sur ses jambes. Docteur Frauenfelder fit glisser vers elle un tabouret branlant. Catharina y prit place et posa ses mains douloureuses sur ses genoux. Il s’adressa aux échevins : „le greffier ne devrait pas tarder, il a été retenu à la faculté à cause d’un rapport à finir. Bourreau expliquez à cette sorcière comment nous allons continuer“

Les juges prirent place autour d’une table sur laquelle trônaient une cruche de vin et quatre verres.

„si vous n’avouez pas maintenant je vais être obligé de vous étirer.“ Dit le bourreau puis il continua à mi voix „en bas dans la rue un homme m’a abordé, il ne m’a pas donné son nom, mais il avait des yeux bleus qu’on ne peut oublier. Il m’a prié de vous dire qu’il est toujours près de vous“

Le greffier et le fils du bourreau arrivèrent, Frauenfelder se leva et s’approcha à pas mesurés de Catharina. „reconnaissez vous être une sorcière et avoir forniqué avec le malin ?

-je suis innocente

-vous ne revenez pas sur vos paroles ?

-non votre honneur

-étirez la et voyez si elle ne cache pas d’amulettes ou autres objets magiques sur elle“

Impatiemment le fils du bourreau la souleva de son siège et lui arracha ses vêtements. Elle était nue comme un ver devant 6 hommes, exposée à leurs regards. A cet instant précis elle eut l’impression que Dieu l’avait abandonnée, en punition d’une quelconque faute dont elle ne se souvenait pourtant pas. Elle se laissa raser la tête, sans opposer de résistance, puis ce furent les aisselles et enfin la toison pubienne. Elle ne réagit pas plus quand le jeune bourreau lui posa ses mains calleuses sur les fesses et les lui écarta pour s’assurer qu’elle n’y cachait rien. Ensuite on lui fit enfiler la robe de bure des martyres. Le jeune homme la conduisit à l’estrapade et lui lia les mains dans le dos, tandis que son père accrochait le cric à la poulie.

„Qu’on la fasse monter le temps d’un misere puis qu’on la laisse tomber“ furent les ordres de Frauenfelder. Il était en train de goûter le vin grenat posé sur la table. La partie libre de la corde fut fixée au lien qui entourait ses mains, puis ses mains sous la traction de la corde montèrent tout doucement. Tout d’abord elle ne sentit rien, mais lorsque ses pieds quittèrent terre et que tout son poids tira sur ses épaules tirées en arrière elle crut que le ciel et la terre disparaissaient. C’était comme si une énorme pince écrasait sa cage thoracique, elle aurait voulut crier, mais manquait d’air, et de sa bouche grande ouverte ne sortait qu’un faible gargouillis. Au moment où elle songea que tout était fini, qu’elle allait enfin être autorisée à mourir on la laissa tomber d’une grande hauteur sur le sol de pierre, où elle resta allongée à demi inconsciente.

„remontez la encore, mais cette fois plus doucement, et laissez la pendre.“

Catharina n’entendit pas ses propres pleurs et gémissements, ni même le bruit que firent ses bras lorsqu’ils se délogèrent de ses épaules. Un voile noir obscurcissait ses yeux et tout son corps n’était que souffrance. Frauenfelder donna une cravache de cuir au tourmenteur. Alors il commença à bombarder Catharina de questions, chacune d’elles soulignée d’un coup de cravache. „vous êtes vous unie charnellement au malin ? sous quelle forme vous est il apparu ? quand fut ce la première fois ? qu’avez vous promis au diable ? que vous a-t-il donné ? combien de fois êtes vous allée au Sabbat ? Qui étaient vos compagnes ? Combien de fois avez vous influé sur la météo ? A qui avez vous nuit avec vos sorcelleries ? Etes vous allée nuitamment au cimetière y déterrer des enfants ? Combien d’humains, d’animaux, d’enfants avez vous assassinés ? qui vous a aidé ? parle plus fort sorcière, je ne t’entends pas“

„J’avoue….. tout“

Sur un signe de Frauenfelder le bourreau lacha la roue, Catharina tomba sur le sol avec un bruit mat et elle resta couchée là les membres désarticulés et le dos couvert de sang.

„Apportez lui quelque chose à boire“

Elle cherchait un peu d’air, quand le bourreau la releva prudemment. Elle cracha du sang, car les deux chutes lui avaient brisé quelques dents, et ouvert le front

„essayez de boire une petite gorgée“ lui dit le tourmenteur et il lui posa le gobelet contre les lèvres. Et alors Catharina passa aux aveux. La plume du greffier galopait à toute vitesse sur le papier, il se mordait la lèvre à force d’application, tandis que Catharina, régulièrement ramenée „dans le droit chemin“ par les questions de Frauenfelder, débitait d’une voix cassée une litanie de crimes. Oui elle s’était donnée au Diable, déjà toute petite. Il lui était arrivé sous forme d’un jeune homme dans la carrière de glaise en dehors de la ville, il l’avait flattée et elle s’était donnée à lui charnellement. Oui il était d’un naturel froid et elle avait renié Dieu pour Lui, mais elle l’avait aussitôt regretté du fond du cœur. Dans les années qui suivirent il lui apparût sous d’autres formes. Mais toujours avec des cheveux noirs et la peau sombre. Elle avait utilisé la magie à plusieurs reprise contre des hommes –elle ne pouvait plus dire lesquels. Le diable l’avait aussi aidée contre son mari, le maître serrurier Bantzer car durant les dernières années de leur union il l’avait mal traitée, quand il était ivre et qu’elle se cachait la moitié de la nuit au grenier pour échapper à ses coups. Non elle n’a pas fait de mal aux enfants de Heisslerin. Mais elle avait un jour tué son propre nouveau né par amour pour son maléfique amant. Plusieurs fois elle avait volé sur un bâton couvert d’onguent pour aller au Bromberg ou dans le Mösle, il y avait là des tables, couvertes des mets les plus fins, des rôtis et du vin, que son amant lui donnait à boire dans un gobelet d’argent. Et il y avait des musiciens. Qui étaient ils ? Pour la première fois le flot de paroles de Catharina s’interrompit. Il fallait qu’elle donne des noms. Sainte mère de Dieu. Il fallait qu’elle donne des noms maintenant. Non elle ne connaissait pas la plupart d’entre eux, murmura-t-elle, sauf la Vischerin, la Mössmerin et la Wolffartin. Oui oui elles étaient là à chaque fois. Catharina laissa tomber sa tête sur sa poitrine et se tut. Frauenfelder se frottait les mains avec satisfaction.
„finalement elles avouent toutes à la fin. A chaque fois il est prouvé combien notre institution est fiable. Autant elles sont faciles à séduire autant elles sont peu résistantes à la torture. Comment est il dit dans le Malleus maleficarum ? Les femmes sont imparfaites que ce soit dans leur corps ou dans leur âme. »

Le greffier opinait énergiquement. On voyait sur son visage combien il admirait Frauenfelder. Le commissaire lui donna un coup dans les côtes. „vous avez noté tous les aveux ? D’ici demain il faut que tout soit mis au propre. Et vous“ dit il à l’adresse de Catharina „dès que le tourmenteur vous aura à peu près remise sur pieds, vous devrez répéter votre déposition devant 7 témoins“

A travers un brouillard gris bleu Catharina vit que tous les hommes sauf le bourreau et son fils quittaient la pièce. Alors elle ferma les yeux. Soudain elle ressentit une violente douleur, quelqu’un l’avait tournée sans égards pour l‘allonger sur son dos martyrisé et un poids très lourd reposait sur son corps. Tout d’abord elle crut que finalement la torture continuait, mais c’était le fils du bourreau qui, le pantalon ouvert, s’était allongé sur elle et cherchait à la pénétrer.

„on va voir si ton amant diabolique va venir à ton secours, espèce de traînée. En tout cas moi ça ne me fait pas peur. Ouvre les jambes saloppe“

Catharina resta encore 5 longues journées dans l’obscurité du Christoffelturm, cinq jours durant lesquels le tourmenteur lui remit les épaules en place, changea les bandages de ses doigts écrasés, soigna sa jambe gauche avec de l’huile de mandragore, et nettoya les plaies sur son dos. Avec une recette secrète contenant de la valériane et de la ciguë il fit baisser la fièvre et la douleur. Le vieux connaissait son travail car il n’avait pas seulement apprit à tuer, mais aussi à guérir. Mais elle se rendit à peine compte de tout ce qui se passa durant ces 5 jours. Elle ne savait pas que tout près d’elle était attachée son amie mourante Margaretha Mössmerin, et qu’à l’étage du dessous se trouvait la veuve du riche marchant de toiles, Anna Wolffartin. Elle eut un de ses rares moments de lucidité quand un matin le juge d’instruction vint avec 7 témoins lui lire le compte rendu de tout ce qu’elle avait avoué sous la torture. Elle était sidérée d’entendre ces phrases qui étaient censées avoir été prononcées par elle. Des mots étranges, des choses bizarres, qui apparemment avait un rapport avec elle. Elle secoua la tête, non cela ne pouvait pas avoir été dit par elle. Peu après arriva le bourreau avec un brodequin qu’il appliqua sur sa jambe valide. Et il suffit d’un seul tour de vis pour que Catharina jura devant Dieu que tout ce qui était écrit était vrai. Alors elle les pria de bien vouloir l’autoriser à écrire son testament et qu’on voulut bien lui envoyer un prêtre. Le prêtre arriva le jour même, il n’était pas seul.

„Chère Madame, auriez vous encore un souhait que je pourrai exaucer dans les jours qui viennent ?“ la voix de Textor tremblait

„Non…. Rien, c’est …. Fini. Mais…. Pourquoi ?“

Catharina avait du mal à parler, soudain une douleur traversa son corps.

„ou plutôt si, je voudrais écrire une lettre à mon amie Lene Schillerin, elle, ses enfants, ma fille, doivent savoir que je suis innocente“
Textor opina „oui nous vous laisserons faire cela“

Après que les hommes furent partis elle replongea dans son état de semi conscience. Seules les visites de Textor la tiraient de ce carcan, l’arrachaient à son hébétude. A travers la plume de Textor elle emplit des pages et des pages, pleines de mots qui à présents coulaient à flot par la bouche de Catharina, venus du plus profond d’elle même.

„doucement“ la calmait régulièrement Textor, „nous avons le temps, n’oubliez pas qu’aux yeux des magistrats je rédige là un traité scientifique“

Mais même ce temps là eut une fin et quand Textor, pour la dernière fois, rangea ses ustensiles, et qu’il la quitta, le visage pâle, elle retourna dans son royaume d’ombres, où rien ni personne ne pouvait la rejoindre. S’il y avait un sentiment qu’elle pouvait encore avoir c’était la tranquille quiétude d’un malade qui sait que bientôt il sera soulagé. Elle rencontra Marthe, qui était comme une mère pour elle, et se trouva avec elle dans un verger en fleurs. Elle rencontra son chien Moses, qui était mort depuis longtemps, et courut avec lui dans les champs et les prés, elle se laissa porter par Chrsitoph dans des vagues bleu foncé, elle se trouva assise avec sa fille dans le port de Constance, sa chère Marthe-Marie, à travers laquelle elle continuerait à vivre. Sa fille que peu après sa naissance elle avait donnée à Lene Schiller, la fille de Marthe et meilleure amie de Catharina. Bientôt Marthe-Marie saurait la vérité, et saurait qui était sa vraie mère.

Puis apparut son amie Lene, au milieu de la nuit, avec une lampe à huile à la main, et elle lui caressa le visage. Ses cheveux étaient devenus gris, ses joues étaient mouillées de larmes.

„ne pleure pas, tout va bien, lui dit Catharina, bien que ces paroles lui fissent du mal, comment vont les enfants ? Les as tu amenés ? »

-Ferdi m’a accompagnée, il nous attend chez toi.

-C’est gentil à toi de venir me rendre visite, mais il faut que je dorme à présent. J’ai beaucoup de travail demain matin, il faut que je m’occupe des semis et la bonne n’arrive pas à se débrouiller toute seule avec la brasserie. Et j’aimerais faire un gâteau pour la fête de Marthe Marie. Reviens un autre jour, tu veux bien ?“

Mais Lene vint trop tard. Catharina avait cessé de se battre pour sa vie. Pourtant tout était prévu. Lene avait découvert que durant la nuit une porte n’était pas surveillée. En bas attendait Christoph afin d’emmener Catharina à Bâle. De lui Lene tenait un petit sac de pièces d’or pour acheter le silence du surveillant. Christoph pensait bien faire quand il envoya Lene dans la tour. Il pensait qu’une femme serait plus à même d’amadouer le surveillant. Les pièces d’or ne suffisaient pas à l’homme, et pour Lene il y eut un de ces moments dans la vie, où on ferme les yeux et on essaye d’oublier, quand elle dut se donner au surveillant. Lene prit Catharina par les épaules, elle voulut la secouer doucement, mais celle ci lui posa sa main bandée sur la bouche :

„chut ! doucement, Christoph dort encore. Va-t-en maintenant Lene, à bientôt“

Alors elle s’allongea sur la paille puante et ne bougea plus. Lene s’allongea à côté d’elle, la prit dans ses bras et décida de ne plus jamais la laisser seule. Mais à un moment donné le surveillant monta et força Lene à retourner dans la rue.

Le lendemain matin le bourreau entra dans la cellule de Catharina et commença par arracher la paille qui obturait la fenêtre. La lumière envahit le petit local. Effrayés les rats cherchèrent à se cacher. Ensuite il libéra Margaretha et Catharina de leurs chaînes, et Catharina en profita pour se masser les poignets avec ses poings bandés. Comment se faisait il qu’il fit si clair soudain ?

„L’heure est venue, dit l’homme, à 11 heures on viendra vous chercher, Grâce à l’intervention de votre bailli et oncle de Villingen (il regardait Margaretha) vous serez décapitées avant d’être brûlées. Avant notre départ je vous apporterai votre dernier repas et je vous laverai, ensuite viendra le prêtre, et le docteur Textor aimerait vous voir une dernière fois.“ Il s’agenouilla près de Catharina „ceci est pour vous“ Il posa à côté d’elle une feuille de papier dépliée. Catharina reconnut l’écriture de Christoph, mais les lettres dansaient devant ses yeux. Elle jeta un regard désespéré au bourreau mais il haussa les épaules.
„je ne sais pas lire malheureusement“

Avec force difficulté Catharina réussit à lire la missive. „Mon très cher amour ! Jour et nuit j’étais près de toi en pensées, et le fait de ne pas savoir si nous nous retrouverions un jour m’empêchait de dormir. Pourquoi a-t-il fallu que je te laisse seul à Fribourg, pourquoi ne t’ai je pas amenée ici avec moi ? A quoi me sert à présent mon héritage et tout cet argent ? Quand hier Lene est ressortie seule de la tour j’ai tenu conciliabule toute la nuit avec Dieu et je pense qu’il comprendra ma décision de m’en aller avec toi et qu’il me pardonnera ce péché, car il est motivé par l’amour. Sois donc rassurée, comme je le suis moi même à présent, car bientôt nous serons ensemble pour l’éternité. Aucun juge, aucun bourreau ne pourra plus jamais nous séparer.“

Le soleil de mars chauffait l’atmosphère et la grande rue devant le Christoffelstor était en fête. Les boulangers distribuaient aux enfants des „petits pains du bourreau“, de croustillants petits pains blancs, aux coins des rues les négociants en vin n’en finissaient plus d’offrir des dégustations. Quelques jeunes occupaient leur temps à jeter des cailloux à un chat à trois pattes. Quand la charrette des condamnées arriva, tirée par un solide cheval noir, et que la porte de la tour s’ouvrit, une clameur traversa la foule. On fit fonctionner des crécelles, on fit du bruit avec des couvercles de casseroles qu’on entrechoquait, des cris se firent entendre „qu’on fasse sortir les sorcières“ „on veut les voir brûler“.
Anna Wolffartin apparut en premier et monta dans la charrette, elle était la seule qui pouvait encore se tenir ses jambes. Ensuite Margaretha et Catharina furent traînées hors de la tour et jetées dans la carriole. Quand le cheval démarra les trois femmes furent jetées les unes contre les autres comme des poupées de chiffon. Les prêtres, le maire et le gouverneur Renner ouvraient le chemin sur des chevaux blancs, suivis par les juges et les conseillers municipaux. Les représentants des corporations avaient mis leurs plus beaux atours. Seul le docteur Textor manquait dans leurs rangs, la veille il avait renoncé à tous ses titres et ses responsabilités. Une bonne douzaine de bourreaux surveillaient la carriole et essayaient de protéger les condamnées de la vindicte populaire. Et derrière suivaient le tourmenteur et son fils.

La foule suivait comme une nuée d’abeilles en direction du Münsterplatz, les chiens courant à leur suite, et les premiers jets arrivèrent sur la carriole. Une pierre atteignit Anna Wolffartin à l’arrière de la tête, et les cris de la foule devinrent clameur quand les cloches de la cathédrale se mirent à sonner.

Gare à la populace quand on la lâche, pensa Textor et il fit tomber une pierre de la main d’un paysan. Il se demandait qui pouvait être cet homme devant lui, en capeline noire, le capuchon largement tiré sur le visage, et qui marchait aussi prêt de la carriole que le faisaient les bourreaux. Sur le parvis de la Cathédrale les juges et les échevins firent tout d’abord une halte sous les murs du tribunal récemment rénové. Après que le dernier coup de cloche eut résonné le greffier s’avança, gonflé de fierté, car il avait été désigné pour lire en public les accusations et la condamnation des trois sorcières.

„ce lundi 22 mars de l’année 1599, Margaretha Mössmerin, veuve du sieur Baurer, a reconnut les faits de sorcellerie suivants : elle reconnaît qu‘il y a dix ans un homme noir est venu à elle dans son jardin, tard le soir, et il lui a intimé l’ordre d’avoir des relations avec lui. Ce qu’elle fit et il était d’un naturel froid. Elle reconnaît qu’il s’appelait Hemmerlin et qu’il lui a donné un bâton et une pommade dans une petite boîte, pour en enduire le bâton ou la fourche. Elle reconnaît que c’est sur ce bâton qu’elle a volé au Bromberg où elle retrouvait la Wolffartin, et la Stadellmenin, et d’autres qu’elle ne connaissait pas, et qu’elles y mangeaient et y buvaient. Elle reconnaît….“

La foule, curieuse, regardait vers les trois femmes pendant cette litanie qui semblait ne jamais devoir finir, cherchant à voir comment elles réagissaient quand on leur lisait leurs actes répréhensibles. Mais aucune d’elles ne réagissaient, elles restaient couchées, comme des sacs de farine, les unes contre les autres, la tête baissée sur la poitrine, étaient elles seulement conscientes ?

Textor sentait son cœur se serrer. Chez lui, dans un coffre en chêne, s’entassaient des centaines de feuillets manuscrits, où était retranscrite la vérité sur ces trois femmes. Une vérité que personne ne voulait entendre. Mais un jour il faudrait bien que l’on prête foi à ces écrits, et lui, Carolus Textor, y consacrerait tous ses efforts. Dès demain il commencerait à tout mettre au propre, et il en enverrait une copie à Lenne Schillerin à Constance. „Pas une seule fois dans leurs dernières heures elles n’ont fait montre de pénitence“ dit une vieille femme à côté de lui d’un air contrit „comment le pourraient elles, continua une autre, alors que le Malin se tient toujours près d’elles ?“

Textor remarqua que l’homme au vêtement noir s’avançait. Son regard ne quittait pas Catharina, sa voix était plus forte que celle du greffier „n’aies crainte, je suis avec toi“ Lentement la Stadellmenin leva la tête. Les yeux hagards et le visage défait elle regarda l’homme devant elle, et soudain elle sembla le reconnaître, et elle commença à sourire, comme lorsqu’on est en présence d’un cadeau inespéré. Ses lèvres prononçaient des mots silencieux et Textor se demanda si elle parlait à son vis à vis ou à Dieu.

……………………………………….

Le greffier parlait toujours plus vite et jetait des regards affolés à la foule qui devenait nerveuse „qu’on commence !“ „allumez le feu“ „qu’attendez vous, qu’on les jette au feu ces maudites sorcières“

Sur un signe du maire la garde se plaça devant la carriole et repoussa la foule. Puis on entendit une petite cloche. Le maire se reprit, alla se poster sous la gigantesque entrée du portail et leva un bâton décoré. Le silence se fit aussitôt. Le greffier se racla la gorge et essaya de donner à sa voix une nouvelle force.

„Résidents de Fribourg, entendez la sentence : en conséquence de tout cela il est reconnu par le tribunal que Margaretha Mossmerin, veuve de Jacob Bauren, Anna Wolffartin, veuve de Alexander Schellen, et Catharina Stadellmenin, veuve de Michael Bantzer, sont des sorcières, et que de ce fait elle seront tout d’abord décapitées sur le Schutzrain, puis leurs corps seront conduits au Hochgericht et brûlés. Que Dieu ait pitié de leurs âmes. Amen“

„Amen“ dirent des centaines de voix.

Des roulements de tambour s’élevèrent, puis le maire brisa le bâton et le jeta au sol devant la charrette des condamnées. C’était le signe de rupture. La foule se mit en mouvement et alla vers le Schutzrain, en dehors des murs de la ville, à travers les ruelles. C’est presque épaule contre épaule avec l’homme en noir que Textor avançait. Quand le bourreau saisit l‘épée emballée dans un tissu noir, le prêtre s’avança. Sans descendre de cheval il brandit son crucifix et commença „Ora pro nobis“ mais sa voix était couverte par le bruit des couvercles de casseroles qu’on entrechoquait.

Alors, lorsque Catharina entre les deux autres femmes s’agenouilla devant le billot et que le bourreau leva son épée, le silence se fit. La plupart des gens se signèrent l’homme en noir au premier rang des spectateurs s’agenouilla et baissa la tête. Ce n’est qu’à ce moment là que Textor le reconnut : c’était le bistrotier de Villigen, Christoph Schiller, proche de la Stadellmenin, et, comme il l’avait apprit entre temps, son visiteur du soir. Textor vit comme Christoph relevait la tête et que son regard se planta dans celui de son aimée, c’était comme si à travers ce regard les deux amants étaient soudain seuls au monde, très loin de cet endroit. Une lueur passa sur le visage meurtri de Catharina, et ses yeux s’emplirent d’un incommensurable amour. Alors l’épée siffla une fois, deux fois, trois fois. Textor pria tout haut, la prière la plus douloureuse de toute sa vie, „Je vous salue Marie,….“ Ces mots requéraient le pardon pour la responsabilité qu’il pensait avoir dans la mort de ces femmes. Puis, d’une seconde à l’autre tout fut fini.

Personne, pas même l’ancien commissaire Carolus Textor n’avait vu ce qu’il s’était passé au milieu de leur rangée, qu’un homme était prosterné sur le sol, comme s’il avait voulu embrasser la terre, et qu’il n’avait pas bougé d’un pouce, même quand les corps étêtés avaient été remis sur la carriole et que même les plus vieux et les plus lents avaient quitté la place pour aller au bûcher. Ce n’est que lorsque le brasier fut à son apogée et que la lueur illumina toute la ville qu’un employé municipal revint pour nettoyer les billots. Il retourna le corps de l’homme d’un coup de pied et il vit alors qu’un poignard était enfoncé profondément dans sa poitrine.

Épilogue :

Tout comme Catharina, les deux autres accusées, quand on leur avait demandé le nom de leurs compagnes de sabbat, n’avaient donné que les leurs et ceux de personnes déjà décédées. Ainsi donc, faute d’accusées, la situation se tassa.

Jusqu’à ce que 4 ans plus tard, la chasse aux sorcières ne reprit de plus belle.